Shut down

"On pourrait planter un arbre ici. Et là, un parterre de fleurs. Ici on mettra de la terre et des graines, et ça poussera au printemps. Je crois que je dois faire un plan. Sur une feuille. Oui." Main qui plonge dans le sac en toile, à la recherche d'un quelconque papier. Normalement, il y en a dans la pochette. Pochette qui n'est pas dans son sac. Pochette qui est certainement restée sur son bureau - ou plutôt sur la table bancale qu'on lui avait attribuée comme bureau. C'est embêtant, parce qu'elle doit rendre ce plan en fin d'après-midi. Elle ne va quand même pas... "Oh mais oui, je peux dessiner le plan sur mon sac !" Feutre débouché, et le croquis commence. Juniper n'a pas le droit à l'erreur, elle n'a qu'un seul sac. Sinon, elle devrait faire le croquis sur le sol et prendre une photo pour l'envoyer à sa maîtresse de stage - mais elle n'avait pas de téléphone pour faire cela. Alors il faudrait qu'elle aille trouver Chance pour qu'il puisse prendre la photo, mais dans ce cas autant aller directement dans le manoir Clairborne pour aller chercher une feuille. Ou bien retourner à la mairie, après tout cela n'est qu'à quelques centaines de mètres de la rue où elle se trouve actuellement. Mais pour l'instant, il n'est pas question d'abandonner, elle se débrouille plutôt bien sur son sac. Les piétons préfèrent d'ailleurs changer de trottoir, dérangé par cette énergumène qui mesure la longueur de la parcelle en s'allongeant au sol et la largeur en écartant les bras. Juniper est un ange tombé du ciel, mais personne ne le sait. Personne, à part @Chance Clairborne. "Coucou !" qu'elle lance en voyant son cousin se pencher au-dessus d'elle. "Je travaille. Je mesure le futur espace vert. Ça fait trois Juniper et un avant-bras dans ce sens là, et sept bras et demi en comptant sept fois les clavicules dans l'autre sens. Parce que je mesure du bout du doigt à l'autre bout du doigt de l'autre côté. Est-ce que je dois compter le tour de ma tête tu crois ?" La jeune femme n'avait certainement pas très bien suivi les cours sur les périmètres à l'école élémentaire. "Oh, une boîte. Y a quoi dans ta boîte ?"

L'idée l'a piqué alors qu'il se réveillait seul dans l'appartement, sortant ensuite pour prendre un petit déjeuner seul avant de rentrer seul chez lui - pour jouer quelques morceaux seul, son animal de compagnie plus intéressé par les insectes dans le jardin que les mélodies de Ludovico Einaudi. Et après quelques jours de préparation il est là, remontant l'une des vieilles rues le sourire radieux et les bras chargés d'une boîte dont la taille semble faite pour accueillir des chaussures, ni emballée ni scotchée mais soigneusement décorée, recouverte par un scrapbooking en morceaux de partitions et petits dessins assortis. Il en prend grand soin, marche si lentement pour ne pas la secouer que les lampadaires brillent quand il aperçoit l'antique bâtiment, et la nuit s'installe paisible.

Il serait arrivé avec les derniers rayons de soleil s'il n'avait aperçu la jeune femme allongée par terre, concentrée sur des recherches et soigneusement évitée par les passants. Chance lui s'approche et se plante au-dessus d'elle, les joues rondes d'un sourire qui ne le quitte plus. Juniper s'explique et il hoche avec intérêt, attend qu'elle soit debout pour lui fourrer son chargement entre les mains pour pouvoir attraper son téléphone. « C'est un cadeau. » Lui annonce avant de "signer" quelques mots muets (une main contre son coeur, un V de l'index et du majeur au-dessus de sa tête, et enfin ses doigts devant ses yeux) dans une langue qui n'a jamais existée. Vrais cousins ou faux jumeaux, ils avaient petits le même besoin de mots secrets.
Comme si tous les murs les écoutaient.

« Je l'apporte juste à côté, tu veux m'accompagner ? C'est pour quelqu'un que j'aime beaucoup, et qui adore les animaux, » il explique avec une bonne humeur persistante, sachant ce détail capital pour sa cousine. De ses mains libérées il brandit son portable, recule, prend quelques clichés du futur espace vert, s'accroupit et tourne pour varier les prises de vue. « On mesurera ton coin avec les photos, il commence à faire nuit et j'ai rien pour le faire sur moi.» Dans ses poches on trouve toujours un téléphone, des clefs de voiture et de maison, des écouteurs, un spray au poivre, un briquet, des cigarettes et quelques centaines de dollars, mais jamais de ruban mesureur.

Et comme ça c'est décidé, il laisse le paquet dans les bras de sa cousine, ouvre brièvement le couvercle pour s'assurer de l'état du bien fragile et, la vérification effectuée, les Clairborne peuvent reprendre la route jusqu'à l'hôtel particulier devant lequel ils s'arrêtent, Chance prenant le temps d'allumer une blonde avant de sonner à l'étage de @Lazarus d'Avesnes.

Peut-être avez-vous déjà vu ces vidéos Tiktoks sur la prétendue connexion cosmique entre les jumeaux, dans lesquelles on leur demande de choisir une couleur ou un nombre sans voir ce que fait l'autre ? Nul doute que Juniper et Chance passeraient haut la main ce genre de tests si on le leur soumettait. Leur langage secret en est un parfait exemple. Seulement trois signes suffisent pour que Juniper s'extasie devant son cousin et laisse échapper une flopée de questions et de commentaires si longs que cela dure tout le trajet jusqu'à l'habitation du destinataire du fameux cadeau - qui n'a désormais plus rien d'une surprise pour la jeune femme. La mesure du terrain et le croquis immédiatement oubliés - elle finirait demain, ou un autre jour.

"Waaaaah" s'exclame la porteuse du paquet en arrivant face à l'hôtel particulier. "Mais c'est pas un hôtel particulier ici ? On a le droit de rentrer ? Si c'est particulier c'est que c'est différent d'un hôtel normal, mais si c'est un hôtel c'est que les gens peuvent rentrer quand même. En tout cas je peux pas rester dormir là-bas, ce soir c'est le repas collaboratif hebdomadaire, et en plus ils ont cuisiné du risotto à la courge et aux amandes, et-" coupée dans son monologue par la voix qui sort de l'interphone pour les rediriger vers l'accueil. "Oh. Il fallait peut-être réserver ?", ton légèrement inquiet pour le petit paquet qu'elle porte et qui aimerait certainement dormir bien au chaud ce soir. "Monsieur, on a un paquet à déposer, on peut rentrer s'il vous plaît ? Promis on reste pas longtemps, enfin, je crois. Mais c'est vraiment très très très important que mon cousin puisse offrir son cadeau. Et c'est très très très important pour le cadeau d'être offert. Et c'est très très très important pour moi de voir le cadeau être offert. Enfin, vous voyez, c'est très très TRÈS important." Argumentation très convaincante ou bien simple hasard de timing, les grilles en fer forgé s'ouvrent pour laisser entrer les deux cousins.

Légèrement en retrait derrière Chance, Juniper gambade gaiement en laissant traîner ses yeux un peu partout. Et elle se ressaisit en arrivant devant la porte, non pas parce qu'elle se trouve devant le propriétaire des lieux mais parce qu'elle se souvient de ce qui se trouve dans la boîte, et qu'elle ne voudrait pas le rendre malade à force de sautiller. "Bonjour Monsieur. Je suis Juniper et c'est mon cousin Chance. C'est vous le propriétaire de l'hôtel particulier ? Est-ce que vous pouvez me dire pourquoi on dit qu'il est particulier ? Est-ce que c'est parce qu'il y a des passages secrets ? Oh mais peut-être qu'il y a un passage secret pour aller voir ton amoureux Chance ! Est-ce que vous connaissez son amoureux ? On a un cadeau pour lui. C'est un cadeau SUPER secret, et aussi SUPER mignon." Sourire jusqu'aux oreilles, yeux qui pétillent, une Juniper dans toute sa splendeur. "Il est dans quelle chambre ton amoureux, Chance ?"