blizzard (chance)

21 novembre, entre chien et loup

Les pas sont machinaux, l'air est absent sous les cheveux couleur or blanc et la tenue ne rend plus aussi faste lorsqu'on l'éloigne des néons et de l'ambiance mystique de la roulotte. On n'y voit pas très bien, pas très loin, même en plissant les yeux et plusieurs fois les pieds se prennent dans des racines. La route semble être celle des initiés, loin du goudron et des jolies haies (peut-être un raccourci ?) pourtant t'as la démarche assurée (que de la gueule, non ?).

L'instinct des Crowe ;
(que tu dirais)
.

Un bruit à droite, les oreilles se tendent - comme le reste du corps - et les yeux se tournent. A l'affut d'une bête sortant des bois ou autre menace. Rien de tout ça. Azur rencontre azur. En reflet. "Je t'ai déjà vu" souffles-tu, voix basse. En rêve ou ailleurs. Les lippes se tirent en sourire alors que la main se tend vers l'autre regard cieux.

Il n'a rien à faire là. Ce devait être hier, il croit. Il suit les graviers, retrace les pas laborieux de la veille. Il a mis des heures à émerger, la tête lourde et la carcasse endolorie. Un portrait montre qu'il s'était préparé - et bien. Il devait aller jouer, il croit. Alors pourquoi il se réveille encore sans avoir rien révisé.

Le halo solaire se perd dans les brouillards mal lunés, remonte le chemin qu'il a dû emprunter - la nuit les escapades se font à pieds. Silhouette vague trouble l'introspection, figure bariolée comme une fête d'anniversaire qu'il a toujours détestée - les ballons le faisaient pleurer, ou les regards sans couleurs du paternel peut-être. Il la rejoint, pour en remettre sur l'écran.

Je t'ai déjà vu, l'apparition assure quand il l'approche. Tout le monde l'a déjà vu. « Je joue du piano. Sur internet, » il se justifie, passerait pour un fou à dire moi aussi. Il prend sa main et la serre dans sa paume trop chaude, dérèglement du sang ou des idées, alors qu'il baisse le nez avant que les iris ne percent le miroir.

Les doigts sont longs et fins, la main paraît brûlante (le froid du crépuscule a rendu ta peau glacée). Le métier était devinable facilement (trop pour que tu le dise avant lui ?) et tu souris en grand. "Oh moi, le noir et blanc..." La magie que certains trouvent à appuyer sur de simples touches n'est rien à côté des myriades d'enchantements de Miracle Maleskyne (tout devient fade ensuite). "Mais peut-être que c'est ça !" Les lèvres s'étirent d'avantage et le rictusdit que non. Paume lâchée, rendue gracieusement à son propriétaire dont l'allure est passée comme aux rayons X par les prunelles azuréennes. Il a l'air d'un ange, une véritable apparition (comme tu en vois en songes, où leurs visages ont des éclats de familiarité). "Quelle chance de rencontrer un pianiste célèbre. Je suis Gideon." Une cigarette est glissée dans la bouche - bruit du briquet sur lequel on s'acharne quand on a les mains trop froides - et la fumée de la nicotine s'ajoute à celle des souffles dans la pénombre.

C'est son heure pourtant, au gris qui tombe épais sur les épaules et alourdit les paupières, qui prend le nez et plombe le coeur. Chance voudrait que la lune succède toujours au soleil, ocre pleine pour étirer les couleurs du jour - plutôt que la lueur pâlotte qui tremble à travers les brumes. Il hausse les épaules, chasse les idées, on ne sort dans le noir que si l'on a quelque chose à lui arracher. Lui quémande ces rêves que l'avare reprend chaque fois que le sable s'efface.

Celui du soir se présente et il secoue sa tête dorée, boucles sacrées qui s'agitent comme s'il savait. « Tu n'as pas l'air d'un Gideon. J'aurais plutôt dit Cole, ou Cadence. » On voudrait presque le croire quand scintille la couronne de soie et se plissent les paupières devant les iris pâles. Elles glissent et retrouvent le miroir, fouillent, croient que toutes les réponses s'y cachent.

« Moi c'est Chance, » il précise dans une risette entendue - comme pour prouver son point. Parce qu'il sait, surtout quand il n'a aucune idée.
Peut-être qu'il a juste décidé.

Pas l'air d'un Gideon, une exclusivité. Tu n'as pas l'habitude de ne pas avoir l'air sous tes vêtements oscillant entre velours, soieries et paillettes. Intrigué·e plus qu'injurié·e, tête penchée comme si voir de côté dévoilerait de nouvelles choses sous les boucles or. Mais rien que la sensation de déjà-vu, l'impression que tu aurais pu dire le prénom avant le pianiste. "Chance... Rime avec Cadence." La remarque sonne anodine.

"Fais voir ta main." Ordre donné, paume déjà tendue pour saisir celle de l'inconnu au regard tout aussi bleu que le tien.

« En français, ça veut dire chance, » il précise plus bas, ourlant un sourire en coin de lippes. Comme s'il était tout ce que prétend son prénom, donné sur un oracle bénéfique, bercé d'étoiles prophéties plutôt qu'un coup de tête illuminé. L'autre prend sa main et il l'ouvre grand, Cadence pourrait deviner le métier rien qu'à les observer - les doigts fins bagués avec délicatesse, les discrets tracés blafards couronnant les phalanges.

« Qu'est ce qu'il va m'arriver ? » il lui demande, croyant à l'inspection. Est-ce que je vais retrouver mon frère, ses grands yeux demandent en silence. « Est-ce que je vais rester chance ? » Les soleils dorés et la jeunesse bénie, ou s'abîmer dans les ténèbres qui guettent la propriété. Se perdre dans l'hiver glacier qui les attaque sitôt les portes fermées.

"Et tu en as ?" posé sur le ton de la question rhétorique. Le sourire est un peu malicieux.

"Tu seras toujours Chance. C'est ton essence, on ne l'oublie jamais." Tout comme il sera toujours blond, aura toujours le regard bleu et le teint pâle dans l'obscurité.

"Il y aura la reconnaissance jusque dans le regard de ton père" murmures-tu dans la nuit, la paume tenue comme un livre ouvert alors que tu en suis les lignes de ton index, comme un enfant qui déchiffre. Le doigt d'arrête un instant là où un des traits est rompu. "Mais comme lorsque que l'on vit très haut, la gravité finit par nous ramener au sol et il te faudra ramper un peu..."

Croassement de corbeau au loin, comme pour approuver les dires.

Les mirettes sont grandes ouvertes maintenant, et revient le sourire gamin. « C'est vrai ? » qu'il souffle même, la bouche arrondie dans un soupir idiot. Il ne bouge plus d'un pouce, semble attendre qu'iel trouve d'autres mots magiques dans ses doigts, continue de flatter et caresser l'égo balbutiant. Né avec le garçon, trop malmené pour s'épanouir.

Et puis la suite le fait tiquer. La paume se dérobe, lui recule d'un pas, secoue ses boucles dorées. « Non. » Lui ne rampe pas. Il peut tomber mille fois, il usera et déchirera ses genoux à se relever plutôt que quémander.
Mais dans les ténèbres les corbeaux ricanent, ils ne croient que cellui qui leur a pris leur nom. Les ailes battent, les charognards progressent - attirés ?

Sourire en coin alors que les yeux cyans brillent d'une assurance tranquille. "Bien sûr que c'est vrai." C'est écrit entre les lignes dans une langue que seuls quelques élus comprennent.

Tu aurais pu y voir autre chose sans doute mais la paume se dérobe et ta propre main se referme sur du vide. Personne n'aime quand vient le sujet des chutes, longtemps que cela ne t'émeut plus. "A toi de t'en relever grandi" ajouté dans un haussement d'épaules. "Tu en as les moyens."

Corbeaux ricanent de nouveau.